Entretien avec Marcel Gbeffa

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©Violaine Dupic


Vocation
"En 2000, j'ai vu une prestation du groupe Ori Danse Club. C'était pour le Conseil de l'Entente et j'ai été surpris par la forme. Ça ne ressemblait pas à du hip-hop, ce n’était pas juste pour s'amuser. C'était intellectuel. Ça amenait quelque chose, ça apportait quelque chose et je pense que c'est plutôt ce côté de la danse qui m'a attiré."

Formation / Parcours
"Je voulais faire de la mécanique aérienne. En attendant que mon père réunisse les sous pour ma deuxième année d'université, j'ai rencontré la Compagnie Ori Danse qui faisait de la danse contemporaine. Pendant deux ans, j'ai intégré ce groupe avec lequel j'ai travaillé côté théâtre, administration, logistique... Après j'ai pu avoir une bourse qui m'a permis de suivre un stage à l'Ecole des Sables, chez Germaine Acogny à Dakar. J'y ai rencontré d'autres styles, d'autres personnes. Ce qui était intéressant, c'était de discuter de ce qui se passait autour de la danse, le côté vraiment théorique de la danse. A Cotonou, c'était plus la pratique. Pour moi, ça a été vraiment important."
"Durant ces dix, douze ans, j'ai fait des ateliers, des formations, des workshops avec tous les chorégraphes qui passaient à Cotonou et à chaque fois que nous étions dans un festival, je prenais du temps pour découvrir d'autres techniques, d'autres chorégraphies."
"Après mon passage à l'Ecole des Sables, Andréya Ouamba m'a demandé d'intégrer une de ses pièces. J'ai commencé à travailler avec la Compagnie 1er Temps, les tournées en Europe, en Afrique, aux Etats-Unis..."
"En 2008, j'ai décidé de créer une compagnie avec Valérie Fadonougbo. Nous avons monté l'association Multicorps qui aujourd'hui donne des cours de danse aux amateurs et aux professionnels à Cotonou."
"En 2010, lors des rencontres chorégraphiques d'Afrique : Danse, L'Afrique danse, pour la première fois, le Bénin a été sélectionné parmi les dix premiers, avec mon solo Et Si, un spectacle qui traite de thèmes philosophiques, métaphysiques."

La danse contemporaine
"Pour moi, la danse contemporaine, c'est la fille de toutes les danses. Dans cette danse, on retrouve toutes les autres avec, en plus, d'autres influences : théâtrales, cinématographiques, photographiques, arts plastiques... Tout ce qui est d'actualité au fait. Cette forme de danse donne une grande ouverture et de nombreuses possibilités."
"J'aime cette forme parce qu'il y a un véritable champ de création que j'ai envie de développer. J'ai tellement d'idées. Je pense que c'est la meilleure forme que je peux choisir. Cette forme c'est de l'imagination, c'est de l'art. Ce n'est pas que de la danse, c'est de l'art !"
"Avec cette danse, tu as vraiment la capacité de t'exprimer. Pour quelqu'un comme moi qui est timide, c'est une bonne sortie. Il y a des choses qui restent là, qui sont enfouies dans le corps, mais en dansant, toute cette énergie se transforme en mouvement."
"Pour moi, il n'y a pas de frontière à la danse contemporaine. C'est tout. C'est africain, c'est béninois, c'est européen, c'est américain... C'est une danse ! C'est une danse et point barre."
"J'aime le travail de William Forsythe. Forsythe c'est de la géométrie dans l'espace et j'utilise beaucoup la géométrie dans l'espace moi-même."


Processus de création
"Je suis plutôt axé sur tout ce qu’il y a de spontané, tout ce qui est improvisation, tout ce qui est expression corporelle, tout ce qui peut naître simultanément. C'est pur, c'est original, ça apporte quelque chose. Tandis que prendre le temps de décortiquer les choses, ça enlève le côté surprenant."
"J'aborde des thèmes un peu métaphysiques, philosophiques. Le concept du moi, du ça, de l'être à l'intérieur, de l'être même, ce qu'il y a après la mort, les Dieux... J'essaie de développer ça dans mon travail. J'essaie aussi de travailler sur le côté un peu animal de l'être, tout ce qui nous relie à l'animalité."
"C'est l'instant présent qui importe pour moi. Comment est-ce que des choses naissent simultanément ? Comment d'une idée, des choses naissent ? Des choses qui ne sont pas prévues mais qui commencent à se construire petit à petit."
"Je travaille avec la danse traditionnelle béninoise mais d'une manière où personne ne remarque que c'est de la danse traditionnelle béninoise. J'ai envie d'expérimenter des choses avec, mais je prends encore le temps de mûrir tous les concepts, toutes les techniques autour de la transformation de la danse béninoise."
"Je travaille avec l'improvisation, l'expression corporelle, sans oublier quelques bases. Et avec l'influence des chorégraphes avec qui j'ai travaillé. Ces traces, les traces de ces chorégraphes restent toujours dans nos corps, on ne peut pas s'en détacher."
"J'aime le challenge, lorsqu' il faut trouver quelque chose de nouveau. Ça me fait réfléchir. J'ai un carnet où j'ai plein d'idées et quand je vois une pièce je me dis : Ah oui, celle-là on l’a déjà prise, et du coup je barre. Je cherche toujours un moyen des traduire les consignes ou les commandes, j'essaie de trouver une autre manière d'interpréter, j'interprète à ma façon les choses qu'on me dit."
"La première des choses c'est de faire un premier fondement. Qu'est-ce que je fais ? Où ? Comment ? Et quelle est ma cible ? Et je pense que la première cible doit être la population dont on fait parti. Après le reste vient."

Etre danseur au Bénin
"Les danseurs n'ont pas encore conscience que c'est un travail professionnel, et qu'ils doivent aller vers la formation et vers l'information. Pour tout artiste ça devrait être primordial."
"Le grand problème ici, reste le réseau et la diffusion. C'est un grand problème parce que beaucoup de gens créent, ont de l'imagination, mais n'ont pas forcément la possibilité de diffuser leurs œuvres et de les vendre. Il y a de vrais talents dans les rues, dans les villages, ils ont besoin de soutien, ils ont besoin de montrer ce qu'ils font."
"C'est difficile de comprendre pourquoi il n'y a pas dans ce grand Bénin, un vrai théâtre pour accueillir des spectacles. Pourtant on sent cette envie, il y a des créations, il y a beaucoup de choses qui se font. Ce qui amène une grande majorité des artistes, à créer mais pour l'Europe, pour les États-Unis, pour d'autres continents plutôt que pour l'Afrique et leur propre pays. Et c'est normal, on ne peut pas leur en vouloir. Je pense que dans ce processus, chacun de nous a une part de responsabilité : aller vraiment vers le public qui nous concerne, faire comprendre au public, à notre population : Voilà, c'est de l'art ! Regardez. Leur donner vraiment envie. Et d’ici quelques années, ils pourront se dire : Voilà, je donne de l'argent pour suivre un spectacle de danse. Il faut aller vers les écoles, vers les universités, dans la rue, dans les marchés, dans les lieux publics, comme le fait déjà la Fondation Zinsou. Ne plus faire les choses comme en occident, que ce ne soit plus une scène fermée mais que ce soit ouvert. Et je pense que si on passe cinq ans à faire ça, et qu'on revient à un système fermé, qu'importe la situation, les gens viendront dans les salles fermées."
"Je rêve de faire des prestations dans les marchés, dans les lieux publics, essayer de choquer, d'interpeler le public, pour les amener à se poser des questions, pour les amener à comprendre un peu l'engagement des artistes, à comprendre un peu ce que c'est que la danse."

Dansons Maintenant !
"Je n'aime pas la répétition, je n'aime pas ce qu'on appelle le copier-coller, je n'aime pas tout ce qui est linéaire. Du coup, je me suis dit : Où est-ce que je peux aller ? Et de toute façon, pour moi, ces photos ne m'étaient pas étrangères parce que je connaissais les artistes qui étaient sur les photos et je connaissais l'artiste qui a fait ces photos donc... Je me disais plutôt que j’irai plus dans le sens de ce que dégageaient ces personnes là. L'énergie. Leur manière de parler, leur manière d'agir. C'est tout ça qui m'a permis de créer l'univers pour la pièce Le Couloir sombre de l'amour. Cette pièce parle des fractures, de ces envies, de cet amour qu'on a qui est souvent brisé par quelque chose qu'on ne comprend pas et parfois on aime, parfois on rejette."
"Par contre, c'était le contraire avec Sans regard, où je voulais plutôt utiliser l'espace que définissait les bâches. Sans regard est allé un peu plus dans l'espace. Et en même temps, comment est-ce qu'une personne peut être une autre ? J'ai essayé de jouer avec ça, d'aller d'un tableau à un autre. Comment est-ce que le corps respire ? Comment est-ce que ça bouge à l'intérieur ? Cette vibration, comment est-ce qu'on peut la transformer ? C'était mon idée."

©Céline Coyac

©Céline Coyac

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