Fuite ou émigration des danseurs africains ?


La fuite est l’action de fuir quelque chose ou quelqu’un. La fuite est donc un déplacement, un désir  d’être ailleurs pour éviter ou échapper à une situation par exemple.
L’Ecole des Sables, comme un certain nombre de compagnies en Afrique, a été victime de fuites des danseurs pour l’étranger. Ces fuites étaient le plus souvent illégales. Les auteurs n’avaient pas l’autorisation des compagnies, ni celle des pays "accueillants". Les danseurs en fuite étaient et sont en situation irrégulière dans un pays où ils ne peuvent exercer leur art librement faute de papiers valides leur permettant de travailler. Pourquoi ces danseurs fuient-ils ? Qu’espèrent-ils trouver ailleurs ? Germaine Acogny, la fondatrice de l’Ecole des Sables dit souvent : "Partez en Europe si vous voulez partir, mais revenez !".

Masterclass Germaine Acogny©Joel Koukoui

Pourquoi partir ? Pour se former, devenir meilleur danseur, acquérir de l’expérience, rencontrer d’autres danseurs et chorégraphes. Gagner sa vie aussi. En Afrique, le danseur a bien du mal à vivre de son art et de son métier, aussi est-il naturel pour lui de regarder ce qui se passe ailleurs et d’être tenté de partir. On peut certainement se poser la question de la légitimité de certains de ces danseurs qui partent. Sont-ils vraiment des danseurs ou des opportunistes dont le véritable objectif au fond est simplement de partir en Europe ? Car partir et s’installer volontairement dans une situation irrégulière, c’est renoncer de fait à sa vocation de danseur, en tous cas temporairement. Difficile de répondre à moins d’en parler avec les concernés. Mais la fuite n’est certainement pas la solution, car elle pose plus de problèmes qu’elle n’en résout. Fuir implique l’impossibilité de travailler librement quel que soit le métier et le talent que l’on possède. C’est vivre clandestinement et éviter les forces de la loi. Vivre caché en somme. Mais fuir c’est aussi rendre les choses plus ardues pour les compagnies abandonnées. En effet, bon nombre de compagnies africaines exécutent un véritable parcours du combattant pour obtenir les visas pour l’Europe. Les danseurs qui s’échappent, non seulement, réduisent les forces vives des compagnies en question, mais en plus ils les affectent indirectement pour les demandes futures de visas et de tournées en Europe, mettant, par conséquent, la survie de ces compagnies en danger économique et artistique. L’émigration est tout à fait acceptable et justifiable puisqu’émigrer c’est partir pour des raisons économiques, politiques, religieuses.

Déambulation Cie Fabre/Sénou©Hector Sonon

Quelques danseurs s’installent légalement en Europe suite à des contrats de travail ou des mariages avec des européens ou des européennes et tentent de poursuivre leur carrière en donnant soit des cours de danse, soit en s’engageant dans des compagnies de danse. Le danseur a donc le droit de partir pour ses convictions, ses désirs et ses besoins. Mais il a également le devoir de revenir dans son pays pour contribuer au développement de la danse dans son pays. L’Ecole des Sables doit son existence à Maman Germaine, car elle a été une pionnière dans son pays, donnant l’exemple et affrontant les difficultés locales pour faire avancer la danse africaine. Elle est partie plusieurs années en Europe (Belgique et France), mais elle est revenue au Sénégal pour former les jeunes danseurs et leur offrir un espoir de réussite dans le domaine chorégraphique.

Restitution masterclass Germaine Acogny©Delphine Chevalme

 L’Afrique a besoin de nouveaux défricheurs, de personnes prêtes à se battre, à faire avancer la cause et le statut du danseur en Afrique en développant le champ des pratiques, la formation et la création. C’est un engagement à la fois artistique et politique. Il faut de la force, du courage, de la détermination et des idées pour faire évoluer la situation. Mais qui peut et doit le faire, sinon les danseurs eux-mêmes sur leur continent ?
Patrick Acogny

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