"Arrêt de bus" de Romuald Hazoumè et vos histoires... #storiesMW #MuseumWeek
Les résultats du concours seront dévoilés ce soir après délibération de notre jury !
Voici vos nouvelles, bonne lecture !
Romuald Hazoumè Arrêt de bus 2004 ©Romuald Hazoumè Courtesy Collection Zinsou |
Catégorie adulte
L’arrêt
de bus
Il est passé avec son appareil photo, je sais
pas pourquoi, il a pris ce tas de bidons … Pourtant, c’est pas un yovo !
Les yovos, ça fait des choses étranges, comme photographier des manguiers ou
des maisons toutes cassées, au lieu de prendre les jolies jolies.
Les bidons sont même pas bien rangés. J’avais
commencé mais hier, ils sont venus et ils en ont rajouté plein d’autres, n’importe
comment. Du coup, j’étais un peu déçu et je m’étais assis pour retrouver du
courage et c’est là qu’il est passé avec son appareil autour du cou.
Les
bidons, je les range bien, comme le maître nous a appris avec nos tables. J’aimais
bien le maître. Il nous chicotait sévère sévère, mais il nous apprenait plein
de choses. Et à bien ranger la classe. C’est beau une classe bien rangée qu’il
disait. Et c’est vrai, quand je rentrais dans la classe et qu’elle était bien
rangée, ça me faisait du bien dans ma tête, du calme. Après les cris, à la
maison, ça changeait.
Remarque,
maintenant, il n’y a plus de cris à la maison.
Et je
ne vais plus à l’école non plus d’ailleurs.
Mon père
est parti et c’est lui qui payait mon écolage. Maman a dit qu’elle n’avait pas
assez d’argent pour ça. Elle a essayé de finir l’année que j’avais commencé,
mais elle y arrivait pas, alors le directeur, il a dit qu’il était pas là pour
faire la charité, que j’avais qu’à aller à l’école publique, et puis c’est
terminé. L’école publique, elle est trop loin. Maman ne veut pas que j’y aille
surtout qu’il y a la double voie à traverser et que mon grand frère est mort en
traversant la voie. Je l’ai pas connu ce grand frère là, c’était avant que je
naisse qu’il est mort. Après, maman elle a eu deux filles et ensuite c’est moi
qui suis arrivé, puis encore 3 filles. Je suis le seul garçon et maintenant que
papa est parti, je suis le seul homme de la maison comme dit maman. Et elle rajoute qu’elle n’en veut
plus d’autre, qu’elle a eu son compte avec son mari !
C’est
vrai, papa, il était pas toujours gentil avec elle. Il la tapait trop fort. Le
jour où il est parti, ça avait crié toute la nuit. Moi, je n’allais plus
essayer de les séparer parce qu’une fois, papa m’a poussé tellement fort que j’ai
eu mal au bras et à la tête pendant 3 jours. Alors je fermais les yeux, je bouchais
mes oreilles et je me faisais le plus petit possible sur ma natte. Papa était
rentré saoul, une fois de plus, comme elle disait maman. Et ça a commencé.
Maman a crié que le propriétaire de la maison était passé, qu’il avait réclamé
les loyers de retard, papa a dit qu’il n’avait pas d’argent, maman a dit si tu
ne buvais pas tout et … bing ! Toute la nuit. Le lendemain, maman avait la
lèvre toute gonflée et un œil à moitié fermé. Mais aussi, elle crie trop après
lui parfois ! Elle sait pourtant que quand il a bu, faut pas lui parler !
Mais là, ce matin-là, elle est partie avec la voisine à la police. Quand je
suis rentré de l’école, elle m’a dit que papa était parti et bon débarras.
J’ai
dans ma poche un porte-clef que papa avait trouvé et qu’il m’avait offert. Je
le serre bien fort et je prie que papa revienne. Je l’attends tous les jours à
l’arrêt du bus, parce que je sais qu’un jour il va descendre et qu’il me dira « Hé,
fiston ! » et on rentrera ensemble à la maison et tout sera oublié et
je retournerai à l’école. Je sais que le maitre est encore là, même s’il est
vieux, car je passe parfois devant l’école et je le vois à l‘ombre du manguier.
En attendant, je range bien les bidons, comme le maître m’a appris à faire avec
les tables.
Irisah
Vidjinnangnin ou l’enfant béni des dieux
Kpèdétin, suffoqua à nouveau c’était la
cinquième fois qu’elle tentait vainement de faire sortir ce petit être qui
l’habitait depuis bientôt dix mois et qui pourtant semblait prendre tout son
temps. La case faiblement éclairée par un lampion en boites de conserves
surmonté d’une mèche de coton imbibé de pétrole semblait gémir au même rythme que
sa propriétaire. Y était également présentent, deux vielles femmes qui assistaient
Kpèdétin pour l’accouchement de son premier né. Le ciel nocturne était couvert,
et menaçait de déverser à nouveau de grosses gouttes de pluie sur le village. Tangnin
Tchitchi, malgré toute son expérience de matrone riche de plus vingt ans à
Zoungoudo-dekin se mit à craindre le pire. Trois heures de temps déjà, et
pourtant rien ne semblait se décider bien au contraire ; les contractions
s’amplifiaient mais aucun signe de l’enfant, pire la mère s’épuisait. En pleine
saison pluvieuse, et notre village Zoungoudo-dekin est enclavé du fait de la crue du lac Togbin et l’hôpital le
plus proche est à plus de
cinquante km par la voie de
Zounmin ; « Gbédé ! pensa t-elle, il ne sera pas dit que
Tchitchi a assisté une femme et elle ou son enfant sont morts. » Elle
mordit le collier de perles sacrées qu’elle avait autour du cou et envoya sa
seconde Dansi lui chercher la mixture qui se trouvait dans une calebasse
suspendue au toit de sa case. Celle-ci sortit de la case et revint avec ladite
calebasse. Tchitchi fit boire la future maman et l’incita à pousser d’avantage
« hlonhou ! hlonhou bo zin » Kpèdétin haleta et s’écria « hoclooohoo, ogbètché oviéhé
bo djalé bo ton bo !!! ». Dans un ultime effort elle poussa de toutes
ses forces au point d’en perdre ses entrailles. Le marmot têtu se montra enfin,
les pieds les premiers, le reste du corps ensuite. Tchitchi fit la moue, mais
gardant son calme et fit les derniers gestes de délivrance et sortit de la case.
Sur le perron elle hésita un peu puis cria : « c’est un garçon ! »
Mais ne se détendit pas pour autant comme
à l’accoutumée. Elle marcha d’un pas hésitant vers le
père qui l’attendait cinquante mètres plus loin. Emmailloté dans deux
différents tissus le nouveau né pleurait à tue tête. Agossou, le père sentit
que quelque chose tracassait Tchitchi dès qu’il la vit sortir de la case. Mais après
l’annonce de celle-ci, il tressaillit. « Un garçon, un garçon après deux
femmes, six enfants moult et moult sacrifices aux divinités séculaires de mes
ancêtres ; j’ai enfin un héritier se dit-il » Il hâta les pas vers elle. Dès qu’il
vit l’enfant, il comprit la cause de son hésitation. L’enfant était malformé,
le bras gauche, que dis-je un moignon était à la place du bras gauche. On
aurait dit un bout de bois rose brulé aux extrémités. Le sang d’Agossou ne fit
qu’un tour. Il eut un brusque mouvement et recula. Tchitchi les yeux hagards le
regardait et attendait sa décision. Que fallait-il faire ? Agossou se
souvint tout à coup des paroles de Babalawo le vieux prêtre Fa qu’il avait
consulté quelques jours auparavant ‘’ tu auras ce que tu souhaites mais, tu
n’auras pas tout ce que ton cœur désire’’. Il se ravisa alors et prit l’enfant
dans ses bras et déclara «VIDJINNANGNIN ». C’est ainsi que naquit une nuit
de mars 1985 dans un petit village de la vallée de l’Ouémé, un enfant
infirme à la destinée particulière.
Peu de temps après la
naissance de Vidjinnangnin, la famille d’Agossou remarqua des changements dans
leur quotidien. D’abord sa mère, troisième épouse d’Agossou démarra un petit
commerce de vente de klaklou (petite boule fait à base de pate de manioc pétrit
et assaisonnée aux épices puis frit a l’huile). Ce fut un succès total. Elle
était connue de tout le village et ses alentours pour ses fameuses boulettes
qui vous rassasiaient et vous redonnaient la bonne humeur d’ailleurs, on
entendait souvent « allons chez
yaokpèvi pour déguster du klaklou ». Ensuite son père qui se lança
dans le nouveau commerce qui faisait fureur, la contrebande d’essence frelatée.
Son ascension fut fulgurante. De saisonnier dans les champs de palmiers, il
devint en dix ans à peine le plus
grand contrebandier d’essence frelatée de toute la vallée de l’Ouémé communément
appelée kpayo. Désormais on ne
l’appelait plus Agossou mais Oloyé qui signifie : le roi.
Vidjinnangnin quant à
lui fut inscris a l’école du village quand il en eu l’âge. Il subit beaucoup
les quolibets de ses camarades à cause de son infirmité. En grandissant, on se
rendit compte d’autres de ses particularités, il ne sourit presque jamais et
est peu sociable. Il demeure quand même un enfant très doux et gentil quand on
le côtoie. Il grandit paisiblement près de ses parents. Son siège préféré les
centaines de bidons de cinquante sis derrière la concession familiale les yeux
dans le vide avec sa mine de toujours.
Aldo Houessou
Deux gouttes d’eau
Il
est cinq heures, Porto-Novo s’éveille. Comme chaque matin, ma journée commence
par un bol de bouillie. Cette dernière est suffisamment épaisse pour me tenir
au corps toute la journée… Car la journée sera longue. Sitôt ma dernière gorgée
avalée, je m’arme de courage pour commencer mes corvées : ranger ma natte,
balayer la cour, allumer le feu. Mais déjà, Bienvenu, mon petit frère, commence
à pleurer. Je lui donne à manger et il se
calme
aussitôt. Ouf ! Certains matins ses larmes peuvent durer jusqu’à une heure ! Je
me presse : je me lave, je fais mon cartable et je pars pour l’école. En
sortant de la concession, je croise comme tous les jours mon amie Rose. Elle
vend du pain. Du pain chaud. Depuis quatre heures ce matin elle arpente les
petites rues sableuses en criant « pain chaud ! pain chaud ! ». Son travail
n’est pas de tout repos, avec une cinquantaine de baguettes de pain dans une
bassine sur la tête, ses muscles du cou et des épaules ne cessent d’être
sollicités. J’aime Rose. Elle ne le sait pas, sans doute ne lui dirais-je
jamais. Elle sent la douceur du matin, le lever de soleil, le calme des
premières heures de la journée. Elle est mon premier rayon de soleil, celui qui
m’accompagne jusqu’au soir. Au bout de ma rue, l’arrêt de bus. Déjà de nombreux
enfants attendent. Certains discutent, d’autres jouent au foot avec un ballon
imaginaire. Un groupe s’est amassé devant la marmite de Pauline. Elle vend des
beignets. Ils sont bien gras, plus c’est gras et plus j’aime ça. Je m’assois
sur le banc de l’arrêt de bus et j’attends. Le banc est en réalité une rangé de
bidons d’essences vides. Presque tous mes voisins sont des vendeurs d’essence
frelatée. Chaque jour, ils vont au Nigéria voisin pour acheter de l’essence bon
marché et la revendre ici. Alors ma rue ressemble à une station service géante.
En attendant le bus, je me mets à rêver, je me mets à partir, à partir loin,
très loin… A quoi ressemble une station d’essence ailleurs…
Il
est cinq heures, Paris s’éveille. Comme chaque matin, ma journée commence par
un grand bol de céréales au chocolat. J’aime attendre qu’elles deviennent moles
et que leur couleur teinte peu à peu mon lait. Sitôt ma dernière cuillère
avalée je file sous la douche.
Brrrr,
l’eau est glacée… Tous les matins c’est le même supplice, je suis le dernier à
passer sous la douche et papa, maman et Véronique, ma grande sœur ont vidé la
réserve du ballon d’eau chaude. Ni une ni deux, je me savonne, je me rince, je
me sèche et j’enfile mes dix couches de vêtements : un maillot de corps, un sous
pull, une chemise, un gilet. J’ai l’impression de ne plus pouvoir bouger ! A
cela s’ajoute mon manteau, mon bonnet, mon écharpe, me voilà paré pour
affronter le froid et la neige. Je mets mon cartable sur mes épaules et je pars
pour l’école. Dans l’escalier, je croise Georgette, la gardienne de l’immeuble.
Son travail est fatiguant, elle balaie, nettoie, monte et descend les escaliers
toute la journée… Cinq étages, 10, 15, 20 fois par jours… Ce n’est pas rien.
Georgette est aux petits soins avec tous les locataires. J’aime Georgette. De
cet amour qu’on offre à une grand-mère, quand je l’embrasse sur ses deux joues
on dirait un nuage de coton, c’est doux et ça sent le lait pour bébé. Elle est
mon premier sourire du matin, celui qui m’accompagne jusqu’au soir.
En
bas de mon immeuble, la bouche de métro. Beaucoup de monde bloque l’accès, comme
chaque matin Nazi vend des marrons chauds « chauds les marrons ! chauds les marrons
!». L’odeur s’engouffre jusque dans la station. Je m’assois pour atteindre mon métro
et me laisse envelopper de ce parfum de feu de bois que j’aime. Il me rappelle
les vacances, la montagne, la cheminée.
En
attendant le métro qui ne vient pas, sans doute encore une grève, je me mets à
rêver, je me mets à partir, à partir loin, très loin… A quoi ressemble une
station de métro ailleurs…
Chaque
ailleurs est finalement le même. Chaque vie avec sa part de rêve et d’espoir,
avec sa part d’incertitudes et de regrets. Chaque vie identique mais si
différente. Chacun avec son identité. Mais chacun se ressemblant, comme deux
gouttes d’eau…
Aurélie
Gbeffa
Catégorie enfant
L’attente
Cela
faisait toute ma vie que j’attendais devant cet arrêt de bus, alors je
collectionnais des bidons, mon occupation principale. Comme je n’avais rien
d’autre à faire, je les prenais et les collectionnais. Je commençais à me dire
que le bus ne viendrait jamais. Mais je restais là. À chaque fois que j’avais
l’impression d’entendre un bruit qui provenait de la route, je m’apprêtais à
partir et puis non, à chaque fois je me trompais. Jusqu’au jour où je crus
entendre un bruit venant de la route ; bien sûr je savais que c’était
encore mon imagination donc je ne regardai même pas. D’ailleurs cet arrêt de
bus était l’endroit où je naquis, où je fus abandonné, et le seul où j’aie
jamais vécu, et en plus je ne savais pas à quoi ressemblait un bus, je savais
juste comment ce mot s’écrivait, donc cela ne me servait à rien que je regarde.
Mais j’aperçus au loin une lueur. Enfin sauvé!!! Où je veux aller ? Je
n’en sais rien. Une fois arrivé, je ferai quoi ? Aucune idée. Il y avait
un engin avec deux roues, de la fumée et un moteur. Derrière, il y avait une
dame avec des ananas sur la tête et un monsieur qui conduisait. Ils
s'arrêtèrent, me regardèrent et dirent :
-
« Que fais-tu là? »
-
« Je vous cherche »
-
« Tu te nommes ? »
-
« Je ne sais pas »
Et
je me mis à raconter ma vie. La femme pleura et l’homme eut pitié de moi ;
alors ils proposèrent de m’embarquer et ils me demandèrent où je voulais aller
mais je n’en savais rien… Alors ils décidèrent de m’emmener chez eux. Deux
heures et demi plus tard, on était arrivés. C’est là que je découvris un lit,
un canapé, une télé, un robinet, une table, des chaises, un bureau, des livres…
Les
années passèrent et les adultes l’adoptèrent.
Et
ils vécurent d’autres aventures.
Saskia Volsik Leuzzi, 10 ans, CM2
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