"Je suis le griot de mes portraits"
Malick Sidibé, Les trois bergers peuhls, 1976 ©Malick Sidibé
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« Mon parcours est très long. Je suis
portraitiste. Je peux dire que je suis "le griot[1] de mes portraits".
Qu’est-ce que cela veut dire "être le griot de ses portraits" ? Les
personnes qui viennent au studio, je les arrange. Je flatte mes sujets. Je
cache leurs défauts dans mes prises de vues grâce au choix des éclairages. C’est-à-dire
que je leur donne des positions qui conviennent mieux et je cache leurs
défauts, car il faut que le sujet soit content de mes photos. Donc je suis le
griot ! Je flatte ! J’ajuste leur tenue, si le pantalon ou la robe sont mal
faits, je viens et j’ajuste. Donc je suis le griot de mes sujets !
Nos ancêtres n’ont pas eu la chance d’avoir
la photo. Ils n’avaient que le miroir. Alors quand la photographie est venue,
vraiment c’était bien pour les africains.
L’Afrique aime les photos ! Avec l’arrivée des studios en Afrique, les gens
ont commencé à montrer ce qu’ils étaient, ce qu’ils avaient, individuellement. Quand vous prenez une photo dans le
vif, dans la foule, ce n’est plus individuel.
Malick Sidibé, Les trois bergers peuhls, 1976 ©Malick Sidibé
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Dans le studio, les gens venaient avec des
montres, des habits très chers, ils voulaient montrer qu’ils avaient eu cela.
Il y avait même des gens, quand ils venaient au studio, ils prenaient la
cigarette, même s’ils ne fumaient pas, pour faire semblant de fumer… Vous
voyez, cela montrait qu’ils étaient hors même de l’Afrique, parce que la
cigarette ce n’est pas africain.
Dans le studio, ils montraient (surtout les
femmes) les tresses, les habits, les chaussures, les sacoches...
Malick Sidibé, Portrait de Mlle Kante Sira, 1965 ©Malick Sidibé
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Je fais un métier très social, même dans
les photos on travaille sur la psychologie de chaque personne. Je suis obligé,
en tant que portraitiste, que la photo soit bien, même s’il a des défauts, je
change ses défauts. Et puis cela se paye, si vous faites un mauvais travail,
cela ne se payera pas. Donc je suis obligé de bien travailler et c’est grâce à
cela que mes photographies sont bonnes et aimées.
Et les jeunes, ce n’est pas comme les
anciens qui s’arrêtaient comme des momies, moi je n’aime pas ça dans mes
sujets. Je les fais bouger. Il faut que la photo soit vivante. Il faut que ce
soit vivant parce que les photos sont destinées à des amis ou à des petits
enfants. Il faut montrer que le père était comme cela, que le grand-père était
comme cela… ça, c’est le portrait ! La photo ne doit pas donner plus tard une
certaine tristesse aux petits-enfants ou aux arrière-petits-enfants qui la
regardent. Je travaille dans la gaieté pour pouvoir faire briller les esprits
dans mes portraits ! Si le client
est gêné, je souris avec lui, je crée avec lui une certaine sympathie, je lui
souris pour qu’il suive mes instructions et ainsi réussir le cliché.
Malick Sidibé, A moto dans mon studio, 1973 ©Malick Sidibé
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Alors cela m’a permis d’être social et je
n’ai pas quitté Bamako pour mes photos, j’ai tout fait avec la jeunesse
malienne…et les vieux aussi, les enfants, tout le monde. Je crois que c’est ma
chance. J’ai fait toutes mes photos en Afrique, pas en Europe. A mes débuts, je
n’ai pas pensé au futur que pourraient avoir mes œuvres, je voulais seulement
bien faire. Lorsqu’une photo est mauvaise pour le client, elle l’est pour moi
aussi. J’ai travaillé et tout cela est arrivé. »
Malick Sidibé
[1] Communicateur
traditionnel en Afrique. Poète, chanteur, musicien, le griot raconte des mythes
ou des histoires passées. On lui attribut parfois des pouvoirs surnaturels.
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