Entretien avec Awoulath Alougbin

©Sophie Négrier
Vocation
"J'ai grandi à Porto-Novo dans une maison familiale. Porto-Novo est une ville de fêtes et chaque soir dans le quartier, il y a des groupes qui chantent et qui dansent. J'adorais aller les voir et je participais quelques fois. Ça c'est fait comme ça, la danse pour moi. Et jusqu'à présent la danse me suit."

Formation / Rencontres
"Il n’y a pas d’écoles de danse au Bénin, chacun doit faire son propre chemin."
"J’ai eu la chance de rencontrer des artistes, des danseurs, des chorégraphes qui m’ont apporté beaucoup."
"J'ai rencontré Kettly Noël, une danseuse-chorégraphe haïtienne chez mon oncle, Dine Alougbine, qui est metteur en scène. J'ai travaillé avec elle pendant deux ans, elle m’a fait découvrir la danse contemporaine. Quand Kettly est partie de Cotonou, les danseurs ne connaissaient pas grand chose à la danse contemporaine, mais le peu que Kettly nous avait enseigné, nous l’avons pris et nous l’avons travaillé entre nous."
"J'ai eu la chance de faire des formations à l'extérieur. Grâce à la Compagnie Salia nï Seydou, j’ai participé à L'atelier du monde initié par Mathilde Monnier lors du festival Montpellier Danse. C'est là que j’ai réalisé que je n’étais pas encore une danseuse, que j’avais du chemin à parcourir. (…) Là-bas, j'étais comme un papillon, j’allais de cours en cours. J'étais tellement impressionnée par les techniques d'improvisation que je ne connaissais pas. A Cotonou, j’alignais juste les mouvements."
"Après ce séjour à Montpellier, je suis rentrée au Bénin et je me suis demandée si je voulais vraiment faire de la danse contemporaine. Parce qu'il n'y avait rien à Cotonou, pas de formateur, pas de lieux de répétition, rien. Qui pouvait m'aider ? Personne. Ça a fait tilt et je me suis dit: "Maintenant tu veux faire de la danse, tu aimes vraiment ça ? Et bien force-toi ! Cherche !" J'ai commencé à chercher sur internet, les chorégraphes, les danseurs, les formateurs, leur parcours, leur travail, leur démarche... Je regardais leur vidéo sur Youtube, la manière dont ils bougent dans l'espace, et je commençais à travailler. C'est comme ça que je me suis formée, par moi-même."
"Moi, je regarde, et quand je regarde, j'apprends."
"Quand j’ai rencontré Koffi Kôkô, cela a été une révélation pour moi. J’ai retrouvé dans sa démarche, ce que j’avais commencé par découvrir à Montpellier. Je me suis battue pour faire partie des danseurs qui participeraient à sa pièce chorégraphique Les feuilles qui résistent au vent. Au cours des étapes de sélection des danseurs, il me disait : "Il n’y a pas de place pour les filles, ici. Si tu veux danser avec moi, il faut être forte.". Koffi m’a beaucoup apporté et je continue d’apprendre encore aujourd’hui avec lui. Il transmet non seulement des techniques mais aussi la manière d’improviser tout en parlant avec le corps. Il ouvre l’esprit sur la notion de danse contemporaine et dévoile le passage de la danse rituelle à la danse contemporaine. Pour moi qui suis béninoise, je n’ai retrouvé cela nulle part ailleurs."
"Heddy Maalem aussi est passé par le Bénin et j’ai également beaucoup appris auprès de lui. Tout comme Koffi, il m’a montré "le sens de la danse". Heddy travaille sur le corps du danseur tel qu’il est et lui fait donner le meilleur de lui-même. J'ai été séduite par son travail et Le Sacre du Printemps auquel j’ai participé, a tourné pendant plus de sept ans. Au moment de la création, les danseurs, moi comprise, dansaient avec beaucoup d’énergie. Et au fur et à mesure des représentations, nous avons pu intégrer véritablement la musique et mieux appréhender la démarche d’Heddy. Une véritable communication entre les danseurs s’est créée et le corps à pu parler sans forcer mais en donnant l’essentiel. J’ai mis plusieurs années avant d’arriver à cela."

Processus de création / Inspirations
"J'ai plusieurs manières de travailler. Je travaille beaucoup sur l'improvisation. Quand je créé, rien n’est figé mais je sais là où je vais. J'écris deux ou trois mouvements et une interaction se crée avec les danseurs. C’est important pour moi de laisser pour le danseur un espace de création. Quand je rencontre un danseur et que je le vois danser, je sais quels chemins emprunter avec lui pour arriver à ce que je veux transmettre au public."
"Je travaille également sur l’émotion que je souhaite faire passer. J’amène le danseur à rechercher cette émotion et à l’exprimer par la danse, par l’intériorité du danseur. Si le danseur est vide, le mouvement est là, mais il ne sera pas transmis et le public ne ressentira rien."
"Dans mes pièces chorégraphiques, j’accorde une importance particulière à l’esthétique. La musique occupe également une place importante. Pour moi, la danse est indissociable de la musique."

Références
"En dehors des chorégraphes évoqués précédemment, Koffi Kôkô et Heddy Maalem, Pina Bausch et Alvin Ailey me touchent beaucoup. J'aime beaucoup leur travail. Il y a également l'américain Bill T. Jones, j'ai vu son solo. Quel corps ! Quelle classe quand il danse !"
"Il y a beaucoup de chorégraphes africains qui me touchent vraiment. Leur travail, la manière dont ils travaillent, leur démarche vers la danse... "



©Antoine Tempé
La danse contemporaine
"Pour moi, la danse c'est une philosophie. Quand on danse on est plus ouvert sur le monde. Quand on est fermé on laisse les choses passer devant soi. La danse pour moi c'est ça, c'est l'ouverture !"
"Quelque soit le nom que l'on colle à la danse contemporaine, pour moi, la danse c'est la danse ! Quand on parle de danse contemporaine africaine, la différence pour moi c'est que nous n'avons pas les mêmes héritages culturels. Africaine, européenne, japonaise, américaine, nous n'avons pas la même culture, nous n’avons pas le même corps. Je suis une danseuse béninoise, j’ai mon écriture qui correspond à mon héritage culturel et à mon parcours de vie. Je ne vais pas danser comme un européen qui a sa culture, sa manière de faire. Si je suis africaine et que je travaille avec un chorégraphe japonais, ma propre couleur va apparaître. D'Afrique, d'Europe... La danse contemporaine c'est la danse contemporaine ! "
"Pour moi, la danse contemporaine et la danse rituelle sont proches. Les danseurs rituels ont une manière d’improviser, c'est magnifique ! Dans la danse contemporaine, il y a des moments où on entre en transe. Quand je dis transe c'est quand le danseur amène le public ailleurs. Le public voyage avec lui. Si un danseur arrive à cela, c'est génial ! Quand on voit des cérémonies rituelles ici, les gens dansent, ils nous emmènent. La manière de poser le pas, la grâce qu'ils ont, tous les tambours qui sonnent, ce qu'ils racontent... Et nous on voyage avec eux. Pour moi, les deux ne sont pas loin."


Awoulath Alougbin présentera son spectacle "Bribes Urbaines", le vendredi 23 novembre à 20h30 à l'Institut Français du Bénin.

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