Loin de Cotonou-Babylone
Le jeudi est le quatrième jour de la
semaine, il commence pour ma part comme tous les autres, à 07h30, et se termine
vers 01h00 du matin. Mon jeudi 4 septembre de l'année 2014 n'est pas une
journée consacrée aux plaisirs de l'été et aux cornets de glace. Mon jeudi ne
seras ni rythmé par l'anniversaire de tante Dédé, ni par celui de cousin
Michel-patrick, et je ne passe pas non plus mon jeudi après-midi à pécher la
crevettes au bord du fleuve Ouemé. Par contre, j'ai rencontré Kifouli Dossou,
et c'était chouette.
Covè,
le fief du sculpteur contemporain Kifouli Dossou est à plus de trois heures de
route de la capitale économique, Cotonou. Le message ne semble pas être bien
passé, encore moins lorsque je m'excuse de ne pas avoir "pris mon casque
de moto ce matin... " (naïve, je m'imagine une ballade au bout de la
ville). Après deux heures de route, soit je suis l'objet malencontreux d'un
kidnapping, la frontière nigériane n'est pas très loin, soit Covè est vraiment
loin et je n'ai rien compris à notre itinéraire. Mes craintes s’infirment quand
le portail rouge vermeil de Kifouli Dossou se dresse dans le paysage vert et
terre de la campagne béninoise.
À
notre arrivée c'est un Kifouli torse nu qui nous reçoit. Son petit domaine est
un havre de paix, loin de Cotonou-Babylone, aucune odeur intempestive d'essence
frelatée dans l'air, un décorum vert-presque-fluo et une chaleur délirante. À
comprendre au sens propre, je me suis sentie doucement partir …
Impossible de comptabiliser avec
précision les êtres vivants présents dans la cour familiale, mais de mémoire,
nous avons : l'artiste, Kifouli (bien entendu), trois jeunes hommes qui
sculptent, sa femme qui allaite, un nombre indéterminé d'enfants -dont une
petite fille à qui je ne me lasse pas d'envoyer des sourires- et une
poule. La présentation avec tout ce beau monde ne se fait pas exactement
par des poignées de mains texane, mais par l'échange de quelques regards emplis
de pudeur et de respect. La stratégie de la petite souris est celle que
j'applique, dans l'observation calme. Je touche le bois, je ramasse un copeau
en souvenir que je place comme un secret dans le boîtier de mes lunettes de
vue.
Ce
qui fait l'atelier de Kifouli Dossou est installé en extérieur sous un petit
toit de tôle. Kifouli et ses assistants-apprentis-neveux sont assis sur les
monceaux de copeaux de bois qu'ils extraient à coup de maillet. Ils sont
organisés, chacun a sa tache, comme dans une manufacture d'épingles. Juste à
côté d'eux, dans un large coin de la cour s'entassent des blocs de bois qui
attendent d'être élevés au rang d’œuvres d'art. L'artiste nous amène quatre
sculptures. Toute la conversation quasiment se déroule en fon, et Jean-Yves (le
graphiste de la Fondation) oublie quelque peu au début de me la traduire. Bien
que mot à mot cette langue me soit inconnue, j'arrive grossièrement à suivre
les sujets abordés. Il arrive toujours un moment où le béninois prononce un mot
clé de sa conversation en français et où il trahit ainsi le sens de ses
paroles... Cette technique, pas encore brevetée par Google translation,
ne fonctionne cependant qu'à condition de rester attentive.
Les
quatre sculptures qu'il porte à nos yeux ne sont pas encore peintes. La couleur
du bois naturel m'attire. Elle permet d'entrevoir le travail de l'artiste au
sens work in progress de la chose et nous rappelle que, bien avant de se
retrouver derrière une vitrine ou sur un présentoir de musée, l'objet de nos
contemplations est la somme d'un labeur désintéressé et total.
Ses sculptures sont tour à tour
mordantes, impliquées, ou plus crûment, esthétiques. Dans l'atelier
de Kifouli on peut mirer des personnages à petits bidons, des scènes toujours
auréolées d'un humour poli et subtil en une mimétique des traditions ou encore
des masques guélédé à visage de femme où le détails des cheveux est
remarquable. "C'est un travail de fou !" je me permet là
de citer mon collègue. Kifouli nous invite à l'intérieur, là où le fruit de son
travail est gardé. Sa maison est divisée entre l'espace consacré aux sculptures
et l'espace habitable avec le salon. D'un côté une accumulation de richesse
artistique brute et fine et de l'autre une simplicité de vie qui emprunte à la
pureté. Une grande table, une télévision, et des décorations -probablement de
Noël- qui pendouillent gaiement au plafond. Et rien d'autre. Avec Kifouli,
Jean-Yves et Justin (le chauffeur de la Fondation) on sort ses œuvres pour
pouvoir les admirer au soleil. Kifouli Dossou ressemble à ses sculptures,
il a le visage rond et les joues gonflés comme elles. Moins touchée par le
panel de couleurs utilisé pour sa série de dix masques cimier -Le sondage-
je vois cette foi-ci des pièces aux tonalités plus douces, plus sucrées.
Pour terminer notre journée à Cové, Kifouli propose que nous allions boire une
Béninoise, non pas une femme, mais une bière. C'est dans un périmètre
géographique dénué d'agressivité que l'on nous installe une table et des
chaises. Autour de nous il y a des chèvres et un arbre magnifique. Nous
discutons. Je tente de faire part à Kifouli de mon appréciation de son travail.
Je crois qu'il a compris, je n'insiste pas trop, sa timidité en est
intimidante. L'ambiance est quelque peu suspendue, joyeuse et particulière.
Puis il est temps de reprendre la route et d'attendre trois heures à nouveau
avant de retrouver les affres de la vie en ville. Au revoir Kifouli. Nous
retournons à Cotonou-Babylone.
Mathilda Portoghese, stagiaire
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