Tégbéssou, par Cyprien Tokoudagba

Tégbéssou, Cyprien Tokoudagba, Acrylique sur toile, 2005, 202 x 101 cm

Je choisis ce tableau car, selon moi, il synthétise très bien l’œuvre de Cyprien Tokoudagba. À défaut de connaître précisément ce que l’artiste en pensait personnellement, il nous est toutefois possible de le définir nous-même. Notre démarche devra d’abord suivre une interprétation fondée sur l’apparence première du tableau, dénué, dans un premier temps, de son sens symbolique.

Cette peinture est belle, surprenante. Le spectateur se retrouve d’abord surpris par l’apparence d’un tel personnage, droit comme un être humain, l’expression du visage aussi humaine que la posture, sa face justement, figurant comme le dernier obstacle entre réalité et fantaisie. L’association de couleurs claires pour la tenue et de couleurs sombres pour le corps force l’observation de ce visage souriant, néanmoins terrifiant par ces proportions : oreilles longues et décollées, cornes dressées sur la tête, yeux écarquillés, sourire dément. Nous pouvons toutefois distinguer un buffle, d’apparence légèrement carnivore. Il nous rappelle volontiers les personnages que l’on peut apercevoir dans certains dessin-animés japonais, notamment ceux d’Hayao Miyazaki ou d’Isao Takahata (Hayao Miyazaki est Isao Takahata sont des mangaka, des réalisateurs de films d’animation japonais et cofondateur du Studio Ghibli.)



Ectoplasme du film d’animation japonais Pompoko, d’Isao Takahata
Plus précisément, une fois cette description naïve dépassée (naïve signifiant ici ignorant le symbole), on peut s’intéresser au symbole derrière cette peinture. Ce tableau nous offre à voir une des représentations du roi Tégbéssou, traditionnellement 6ème roi d’Abomey et ayant régné de 1732 ou 1740 (les dates du début de règne de Tégbéssou restent incertaines) à sa mort, en 1774. Cela se reconnaît à la canne "Kpoguè", attribut royal sur lequel il s’appuie, aux "maholè" qu’il porte, bracelets princiers, et enfin à son apparence de buffle, qui dans la tradition se veut l’un des plus fidèles emblèmes de Tégbéssou. Ce buffle est habillé d’une tunique verte, et doté d’une expression maligne, comme pour souligner le proverbe faisant écho à cette peinture : "un buffle habillé est difficile à déshabiller".

C’est ce qui, d’après moi, fait la singularité de l’œuvre de Cyprien Tokoudagba. Cette difficulté à laquelle on se heurte nécessairement lorsque l’on en vient à vouloir insérer cette œuvre dans une période ou dans un mouvement. Contemporaine, elle l’est de par le fait que Cyprien Tokoudagba ne nous a quitté que depuis 4 ans et parce qu’elle suscite immédiatement un regard surpris et étonné par l’apparence du personnage. Mais cela sans en connaître d’abord son symbole. Elle plaît au premier regard, à un public de tout âge et de tout horizon, pour souligner l’importance du regard "inexpérimenté" avant de connaître la signification de l’œuvre. Elle est, au premier abord, universelle.

Et délivre aussi sa représentation réelle et voulue. Elle enseigne la tradition et l’histoire africaine à ce "regard inexpérimenté", la plupart du temps occidental, ici le mien. Les rois d’Abomey avaient, en effet, chacun leur représentation : Glélé sous forme de lion ou Béhanzin sous forme de requin, par exemple. Mais, contrairement aux autres illustrations de ces rois à travers les âges, celle de Cyprien Tokoudagba s’en distingue par sa dimension contemporaine, jusque dans ces procédés. Là où lui peint sur toile à l’acrylique, les illustrations anciennes se faisaient plutôt sur des murs ou sous forme de sculptures, forme que ne néglige pas non plus Cyprien Tokoudagba. Ainsi, ce tableau synthétise donc parfaitement l’œuvre entière de Cyprien Tokoudagba, contemporaine dans sa forme et traditionnelle dans son contenu.


Tobie, stagiaire à la Fondation Zinsou

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