Hector ou l'ivresse de la création


La jeune génération ne s'en souvient sans doute pas mais la liberté de la presse est une invention plutôt récente au Bénin. Jusqu'à la fin des années 80, à l'époque du parti unique, le nombre de titres paraissant dans le pays était très réduit et peu critique vis-à-vis du pouvoir en place, les mouvements de contestation, l'approche de la tenue de la Conférence Nationale souveraine, la montée en puissance de partis politiques d'opposition ont entrainé l'apparition d'une multitude de titres indépendants dont le premier était La Gazette du Golfe qui existe encore.... En 1987, un jeune dessinateur de 17 ans, encore lycéen, y fait son apparition. Pendant plusieurs années, malgré la censure (qui entraînait régulièrement un blanc à la place du dessin en une du journal) et les difficultés économiques de la presse écrite, Sonon publiera plusieurs centaines de dessins dans différents supports dont le premier journal satirique du pays, Le canard du golfe, entre 1989 et 1999, avec une interruption entre 1993 et 1995 du fait d'un séjour au Togo. 1999 correspond à la disparition du Canard du golfe, il doit se tourner vers d'autres moyens pour gagner sa vie. 
Heureusement, la sous-région connaît au début des années 2000 une vague d'intérêt des éditeurs envers la littérature de jeunesse. Dans ce cadre là, Hector illustre une quinzaine de titres dont Mais qu’est-ce qu’il y a Dodo ? paru en 2000, La Statuette sacrée (2002), Les Belles noces de Faïma (2002) aux Nouvelles Editions Ivoiriennes ou Afi et le tambour magique en 2004, (en co-édition Edicef-le Flamboyant). Mais sa production la plus conséquente reste celle qu'il réalise pour les éditions béninoises Ruisseaux d’Afrique entre les contes illustrés comme Abalo a le palu en 2004 ou Le Caméléon de Codjo (2002) et les livres de coloriage (la collection J'apprends à colorier). Il continue cependant à dessiner pour des organes de presse comme Tam tam express (2000 – 2001), Adjinakou (Bénin – 2002), Le caméléon (2002 – 2004) et à illustrer des livres scolaires. Il a également été président de l’Association des Auteurs et Illustrateurs de livres pour enfants, AILE-Bénin.


En 1989, il auto-édite son premier album de BD, Zinsou et Sagbo, œuvre racontant sous forme d'une succession de gags d'une planche ou de quelques planches les aventures désopilantes de deux frères qui, comme leur auteur, sont jumeaux. Tirée à 300 exemplaires, écoulée en 18 mois, Zinsou sonnait le démarrage de la bande dessinée dans le pays. Du fait de l'absence de formations adaptées, Sonon se forme en participant à des ateliers organisés par le Centre Culturel Français de Cotonou et animés par des professionnels européens. A compter de cette époque là, il fait des incursions régulières dans la bande dessinée. C'est le cas en 1990 et 1991 avec les trois numéros de BD Info 2000, magazine humoristique de BD et d'informations créé par André Hêkpazo dans lequel il publie quelques planches et caricatures. Au milieu des années 90, sa rencontre avec l’écrivain et journaliste Florent Couao-Zotti donne lieu à plusieurs histoires publiées dans différents journaux de Cotonou : Inceste, sang et larmes sur l’inceste familial, Papa Ziboté, critique socio-politique en phase avec les événements de l’époque et surtout, entre 1996 et 2000, dans le magazine interculturel Interfaces, quatre livraisons de Les couleurs de la mémoire, saga historique se déroulant à l’époque de l’esclavage. Sonon fait également partie des auteurs qui publient leurs planches dans l'unique numéro de Sodabi Magazine en 1999. En 2009, il publie Koffi Azé, une des dix BD publiées en petit format chez Star Édition à Cotonou, dans le cadre d'un projet de coopération (le Programme de Soutien aux Initiatives Culturelles Décentralisées). Cette opération avait été montée avec d'autres dessinateurs de Bénin-dessin, association à laquelle il est adhérent depuis sa création à la fin des années 90. Mais malgré la cohésion d'un groupe qui comprend d'autres auteurs comme Constant Tonakpa, Jo Palmer, Paul Kpitimé, Constantin Adadja, Mickey G. Aïsse, Hodall Beo, Claudio Lenfan, tous caricaturistes et auteurs de BD, le 9ème art béninois a du mal à prendre son envol dans le pays. Si les talents et les projets ne manquent pas, les occasions d'être publiées sont rares du fait de la frilosité des éditeurs locaux (Ruisseaux d'Afrique, par exemple, ne compte aucun album de BD à son catalogue) et l'étroitesse du marché local. Le salut ne peut venir que de l'extérieur.  

 En 1992, Hector Sonon est primé au concours Calao, premier concours pour dessinateurs africains, organisé par l'éditeur Ségédo qui débouchera sur l'album collectif, Au secours ! Entre 2000 et 2009, ses productions en matière de BD ne sont visibles que dans des albums collectifs européens : dans À l’ombre du baobab en 2001 pour l'ONG Équilibres et populations (avec une histoire intitulée Alima), en Italie avec Matite africane en 2002 (avec Commissaire Devi) et Africa comics 2003 (Le kaïman est mort), dans BD Africa en 2005 chez Albin Michel (Djè nanan) ainsi que dans des séries enfantines (Kola et Bola mais aussi Ka et Ba), parues dans les revues Planète enfants et Planète jeunes (Bayard presse). Il obtient également le premier prix de l’édition 2007-2008 du concours Africa e Mediterraneo destiné aux auteurs africains pour une histoire courte intitulée Darfour. En 2009, il participe à l’album collectif La bande dessinée conte l’Afrique publié chez Dalimenéditions en Algérie dans le cadre du festival panafricain d'Alger. Enfin, en septembre 2012, Sonon sort dans la collection Rivages Casterman, l’adaptation d’un roman de Jean-Claude Derey, Toubab or not toubab, sur un scénario de Mathias Mercier.

Sujet d'un petit ouvrage de 24 pages sur son travail et sa carrière, Bénin, Hector Sonon, écrit par Frédéric Clément et publié dans le cadre de la collection des Carnets de la création aux Éditions de l’œil. La carrière de Hector Sonon est parfaitement représentative de cette génération de créateurs et dessinateurs béninois confrontés à l'absence quasi-totale d'opportunités éditoriales et qui n'ont pour toute arme que leur courage, leur détermination et leur talent.

Cette heureuse initiative de la fondation Zinsou, événement unique en Afrique noire, cherchant à retracer la carrière d'un auteur de bande dessinée, donne des motifs d'espoir à l'ensemble du milieu du 9ème art. Il convient de la saluer.

Christophe Cassiau-Haurie
Conakry, le 7 février 2013

Commentaires