La Fondation Zinsou en ébullition.. !

Grande fut notre surprise ce matin, lorsque Clément, le directeur technique de la Fondation a déposé sur le bureau de Marie Cécile, un article du quotidien Fraternité.

Le dit article n’était autre que l’interview exclusive de Lionel Zinsou réalisée par Yolande-Hervé Vodounon, rédactrice en chef de C’KOI, notre magazine partenaire, prévu pour C’KOI n°3.

Un des journalistes du quotidien, après avoir volé une copie de l’interview à paraître, l'a donnée à son rédacteur en chef après l'avoir signée et sans aucune mention de C’KOI et de sa source !!!!

Nous n’avons pas tous la même déontologie !

Aussi pour rendre à César ce qui appartient à César …….Nous, nous permettons de publier ce soir cette interview.


L'équipe de la Fondation.


Lionel Zinsou est né le 23 octobre 1954. Normalien, agrégé de sciences économiques et sociales, cet homme d’affaires franco-béninois dirige le fonds de capital-investissement français PAI Partners, Société française à plus de 11 milliards d’euros d’actifs. De passage au Bénin, il a accepté accorder une interview au magazine C’KOI. Il parle de la dynamique de l’emploi en Afrique et de ce qu’elle deviendra d’ici 10 ans.



Quelle est aujourd’hui la dynamique de l’emploi en Afrique ?

Lionel Zinsou : Il y a un moment où il faut rappeler quelques données sur l’emploi en Afrique. Parce qu’on est confronté partout à une impression de sous emploi, une impression de chômage, une impression que le système éducatif produit plus de diplômés que ce que les économies peuvent absorber. Donc il faut en perspective donner quelques chiffres sur ce qui se passe en ce moment en Afrique.

Malgré toutes ces impressions assez négatives liées au chômage, il faut quand même noter que l’Afrique est juste derrière l’Asie, le continent qui crée le plus d’emplois au monde. La hiérarchie c’est l’Asie avec notamment le très grand développement de la Chine, de l’Inde, du Viêtnam, de l’Indonésie et donc des pays émergents. C’est l’Asie qui crée le plus d’emplois. Derrière, c’est l’Afrique, puis l’Amérique Latine et maintenant assez loin derrière, les pays développés.

Donc l’Afrique est le deuxième continent créateur d’emplois. D’ailleurs, c’est difficile à quantifier, c’est difficile à percevoir parce que ce sont beaucoup d’emplois dans le secteur informel. Aujourd’hui, le Bureau International du travail (BIT) à Genève qui fait toutes les statistiques du travail, toutes les statistiques sociales mondiales, constate qu’il y a à peu près 75% d’emplois dans le secteur informel. Les pays où il y a beaucoup d’emplois dans le secteur formel, c’est à dire dans l’emploi salarié avec une protection sociale, sont en Afrique du sud et en Afrique du nord. On estime qu’aujourd’hui en Afrique, il y a un peu plus de cent millions de salariés. Ça veut dire des emplois dans le secteur formel. Et vingt six ou vingt sept millions de ces emplois sont en Afrique du Sud et en Egypte qui sont les plus grandes économies du continent. Donc dans l’Afrique subsaharienne, entre l’Afrique du nord et l’Afrique du sud, il y a un retard de l’emploi salarié et c’est l’emploi informel qui représente selon les pays entre 80 et 90% de l’emploi.

Cela étant , il reste cette dynamique et quand on prolonge sur 10 ans les tendances, on s’aperçoit que l’emploi salarié en Afrique va progresser probablement de 100 à 200 millions de salariés et probablement, ce faisant, là encore l’Afrique sera le 2ème continent en terme de progression. Donc d’une certaine manière, il y a bien une dynamique. L’emploi salarié sera probablement dans 10 ans plus important de l’ordre de 35 à 40% de l’emploi dans les pays où il est déjà de 25%. Donc au fond, le nord et le sud de l’Afrique ne seront pas si loin que ça de la moitié des travailleurs qui seraient employés dans le secteur avec de vrais emplois salariés. Dans nos pays, ce sera la même dynamique, mais on part de plus bas, et donc on sera probablement, dans un pays comme le Bénin, encore dans 10 ans à 70- 75% d’emplois informels pour 25 à 30 % d’emplois salariés. Donc il faut retenir deux choses :

1- L’Afrique crée des emplois

2- Elle ne crée pas suffisamment d’emploi du secteur moderne avec un niveau de rémunération décent et un niveau de protection sociale suffisant.

Il y a une image positive : la création d’emploi

Il y a une image négative : le fait que le secteur formel ne se développe pas suffisamment.

Comment se calculent ces statistiques ?

Lionel Zinsou: On prend la population dite d’âge actif qui est la base, ce qui fait 100% et on considère dans les statistiques internationales que c’est entre 18 et 65 ans. Ensuite on s’intéresse à la population employée. Ça peut être un emploi dans la campagne, ça peut être un emploi à temps partiel dans les villes, des emplois de commerce, mais la population employée est cette fraction de la population d’âge actif qui est d’une façon ou d’une autre titulaire d’un emploi. Et la population salariée, c’est celle qui, parmi les gens employés, a un contrat de travail. Et ce contrat de travail donnant lieu à une déclaration.

Donc par exemple, les paysans travaillant sur leur terre sont employés mais ils ne sont pas salariés. Ils n’ont pas de contrat de travail.

Quand on dit aujourd’hui qu’il y a environ 100 millions de salariés en Afrique, dans 10 ans, il y en aura 200 millions. Ça veut dire que sur 1 milliard d’habitants en Afrique, vous avez d’âge actif entre 18 et 65 ans, environs 400 millions et 100 millions de salariés ; ce qui fait à l’échelle du continent en moyenne 25% de 400 millions d’employés par rapport à la population active.

Il faut bien distinguer les concepts :

-La population salariée avec un contrat dans le secteur formel, ça peut être la fonction publique ou le secteur privé.

-La population employée qui est beaucoup plus large mais qui est beaucoup plus précaire.

-La population d’âge actif qui est celle qui a l’âge où on est actif, l’âge où on travaille. En Afrique, il y a beaucoup de gens qui commencent le travail après 18 ans et qui travaillent après 65 ans.

Et l’Afrique a une telle dynamique démographique qu’aujourd’hui, c’est le deuxième continent par la population d’âge actif derrière l’Asie et dans 40 ans, ce sera le premier continent parce que la croissance démographique va plus vite en Afrique qu’en Asie.

Ce qu’il faut retenir globalement, c’est :

-Il y a une vraie dynamique du travail,

-Il se crée du travail,

-Il se crée des emplois.

-Il se crée même des emplois salariés protégés relativement stables.

Néanmoins, il reste qu’on est sur le continent du travail informel.

Cela dit, si on veut ajouter une image positive, il y a maintenant des salaires minimums, au Bénin comme dans 37 pays en Afrique sur 54, ça progresse tous les ans. Mais pour avoir droit au salaire minimum, il faut être dans le secteur formel parce que dans le secteur informel on ne respecte pas forcément les salaires minimums. Néanmoins, vous avez une protection qui s’accroit.

Dans les 10 dernières années, on a une augmentation des salaires réels en Afrique qui est l’augmentation la plus forte avec l’Asie, à peu près au même niveau qu’elle. Les salaires réels auraient augmenté de 17%. Ce qu’on appelle les salaires réels, ce sont les salaires net de l’inflation, c’est à dire la progression du pouvoir d’achat. Cela vient après deux décennies (années 80 ET 90), où on avait une progression du pouvoir d’achat en Afrique et après les premières années du 21ème siècle, on a commencé à stabiliser le pouvoir d’achat. Au fond jusqu’à la crise de 2009, on a une progression du pouvoir d’achat.

Cela veut-il dire qu’il y a de l’espoir pour les jeunes sur le marché du travail ?

Lionel Zinsou: Oui absolument. Le Bénin n’échappe pas à cette logique. Il n’y a aucun doute sur le fait que l’emploi salarié va se développer dans toute l’Afrique. La chose qu’on pourrait faire c’est d’accélérer le passage du secteur informel au secteur formel de façon que, non seulement les gens aient des emplois, mais qu’ils aient des contrats de travail et qu’ils aient des protections.

La protection simple. Ça veut dire un salaire minimum, garanti. Ça veut dire des cotisations pour la santé, pour la famille et pour la retraite. C’est ça au fond la protection sociale. C’est un minimum de salaire donc une protection contre l’exploitation et puis des droits sociaux par des cotisations qui permettent de résoudre des problèmes fondamentaux que sont le problème de la santé, le problème de la santé de la famille, et le problème de la retraite.

Le problème des emplois précaires est que l’on ne prend pas en compte, par exemple, la santé des enfants, donc le coût des soins médicaux et on ne cotise pas pour la retraite. Donc on est obligé de travailler très longtemps dans sa vie puisqu’on n’a pas de mécanisme qui vous assure une retraite.

Il y a des pays, c’est le cas par exemple du Rwanda, qui impressionnent le monde entier à cet égard, car l’Etat a fait une politique pour convaincre toutes les petites entreprises de s’inscrire dans le secteur formel c’est à dire d’accepter les règles sociales, les règles de protections et que l’entreprise cotise pour les salariés et que les salariés cotisent pour eux-mêmes de façon à se garantir la santé, la retraite. Et le Rwanda a mis au point des politiques pour convaincre les entreprises d’entrer dans le secteur formel.

Aujourd’hui, dans un pays comme le Bénin, il n’est pas forcément facile d’entrer dans le secteur formel parce que beaucoup de gens y voient l’impôt. Puisqu’on entre dans le système formel, on va payer des impôts, on va payer des impôts sur le chiffre d’affaire même si on ne fait pas de bénéfice, on va payer des impôts sur le bénéfice qu’on fait, on va être soumis à la TVA et donc les gens, au lieu de voir l’avantage social, l’avantage pour la société, pour le patron, le créateur de l’entreprise, y voient des contraintes fiscales. Au Rwanda, ce qu’on fait, c’est qu’on garantit aux entreprises qu’ils recevront plus de services de l’Etat qu’ils ne paieront d’impôts, de façon à les inciter à entrer dans le système. Donc on n’applique pas tout de suite les taux d’impôts et les formalités nécessaires, parce que ça vous oblige à tenir une comptabilité, ça crée beaucoup plus de frais. Donc en réalité, on vous allège les contraintes, on vous donne le plus de services possible et on convainc ainsi les entreprises de rentrer dans le secteur formel.

Vous avez un autre pays plus proche de nous où vous avez une grande progression de l’emploi salarié, une grande progression du secteur formel, c’est le Ghana. Donc les gouvernements peuvent décider d’adopter une politique qui est une politique non pas de taxation et de formalités bureaucratique mais au contraire de passer une espèce de contrat avec les entreprises : si vous rentrez dans le secteur formel et vous acceptez d’inscrire vos salariés, vos employés à la sécurité sociale et donc qu’ils aient l’accès à la santé et à la retraite, ça ne va pas être un fardeau pour vous, mais on va vous alléger le fardeau, on va vous donner accès à des subventions, on va vous aider à vous développer, ça va vous permettre d’accéder aux crédits.

En définitive on vous donne un cocktail d’avantages, pour que si vous êtes couturière et que vous avez six employés, si vous êtes menuisier et que vous avez six apprentis, vous ayez quand même un intérêt à rentrer dans le secteur formel. A mon avis, ça serait le progrès le plus fondamental des 10 prochaines années. Il est très intéressant et très important de suivre les expériences de l’Afrique du Sud, du Rwanda, du Ghana, des pays du Maghreb.

Aujourd’hui, dans les pays du Maghreb, plus de la moitié des employés sont dans le secteur formel, donc des salariés protégés. C’est très intéressant de regarder comment on a fourni aux entreprises, aux toutes petites entreprises de pouvoir entrer dans le secteur formel sans que ça les pénalise. C’est très important qu’elles voient que ça permet de fixer la main d’œuvre, ça permet de former la main d’œuvre, ça permet d’accéder aux crédits bancaires et donc il faut alléger la contrainte fiscale et alléger les formalités. Il faut vraiment simplifier le travail de l’entrepreneur, il faut l’aider à se créer petit à petit une comptabilité. Et vous voyez tout de suite que les entreprises qui ont réussi à passer dans le secteur formel ont une croissance de bénéfice qui est beaucoup plus rapide que les autres. Donc en réalité, c’est une vraie modernisation. Ça va être la grande réforme du marché du travail en Afrique. Mais pour l’instant, il y a quelques pays qui avancent et pour l’instant, nous ne faisons pas partie de ces pays là.

Dans une dynamique d’évolution, à quel moment l’Etat décide t-il de relever le niveau du salaire minimum quand on sait qu’il ne suffit pas pour résoudre les besoins fondamentaux ?

Lionel Zinsou: Il ne faut pas nécessairement raisonner en terme d’Etat. Dans tous les pays où il y a un salaire minimum, cela résulte d’un accord entre les employeurs et les salariés. Donc c’est une question pour les partenaires sociaux. Ce n’est pas d’abord l’initiative de l’Etat. Il faut que ça soit pris en charge d’un côté par les syndicats d’employeurs, de l’autre côté par les syndicats des salariés. Si non, si ce n’est pas dans la négociation sociale, vous n’arriverez pas à le rendre concret. A ce moment là, les gens préfèreront rester dans le secteur informel pour n’avoir aucune contrainte, même pas celle du salaire minimum.

Mais cela dit, je suis d’accord avec vous, le niveau du salaire minimum est un niveau qui est fait pour résoudre les besoins fondamentaux dans un foyer. Le salaire minimum est efficace dans un foyer où il y a deux salaires ; avec deux revenus, on vit bien. Il faut souvent raisonner sur le salaire d’un foyer avec deux revenus. L’objectif doit être de faire progresser les conditions de vie, qu’on puisse satisfaire tous les besoins fondamentaux d’éducation, de santé, de nutrition dans un foyer où il y a deux revenus minimums. Pour l’instant, on n’en est pas là.

Quel conseil donneriez-vous à quelqu’un qui a réussi à s’insérer dans la vie active pour bien gérer sa carrière professionnelle ?

Lionel Zinsou: Vous avez deux problèmes :

- Le problème de la carrière pour ceux qui sont rentrés dans l’emploi.

- Le problème terrible d’entrée dans l’emploi.

Quand on entre dans l’emploi, l’essentiel doit être d’améliorer sa qualification. D’abord, il faut savoir qu’on ne perd pas son temps à étudier puisque, avec la formation, le taux de chômage décroit. Il est clair que la priorité, qu’on doit avoir, est de donner une formation initiale. Mais la seule assurance contre le chômage n’est pas uniquement la formation initiale ; il faut se donner des qualifications tout au long de sa vie. Ce qui est très frappant au Bénin, même avant l’indépendance, c’est que l’on a toujours fait partie des rares pays où les salariés continuent à étudier tout en travaillant pour améliorer leur qualification, pour pourvoir accomplir plus de tâches, pour avoir un statut plus élevé. La difficulté, c’est qu’on a un budget de l’Etat qui est limité. Ce qui nous manque le plus, c’est la formation professionnelle gratuite.

Nous notre expérience c’est d’avoir créer une société de service qui s’appelle Compagnie de Services aux Entreprise du Bénin (CSEB), où on a comme particularité d’avoir un centre de formation gratuite parce que le métier du nettoyage est un domaine technique.

Pourquoi a-t-on développé des emplois dans ce domaine ? Parce que ce sont des emplois qui conviennent parfaitement à quelqu’un qui a un niveau 5ème ou un niveau 3ème. C’est à dire des emplois où on peut commencer à un niveau non qualifié, se former dans le centre gratuit de la CSEB et atteindre un niveau de qualification. Ensuite, vous pouvez progresser en parallèle de votre travail jusqu’à un niveau de technicien travaillant sur des sujets spécialisé de nettoyage qui sont des sujets techniquement difficiles, avec des produits délicats. Vous avez donc à ce moment là un niveau de qualification élevé. Et à ce moment-là vous triplez votre salaire sur une carrière en ayant pris une qualification au fil de celle-ci. Chez nous, par principe, parce qu’on veut porter le témoignage que c’est possible, qu’on peut équilibrer une entreprise tout en fournissant de la formation à ses salariés, on a créer cette société. Cela suppose que l’entreprise fournisse un service qui se paie assez cher sur le marché pour qu’on puisse parvenir à la financer. Mais pour l’instant objectivement peu d’entreprises le font.

Un des objectifs devrait être qu’on soit en état de donner de la formation professionnelle gratuite comme dans les pays développés.

Aujourd’hui, ce que font les béninois plus que la plupart des peuples, c’est de se former tout au long de leur vie mais en faisant des efforts, des sacrifices financiers. Et pour leurs enfants, pour les générations suivantes, il faudrait absolument qu’on ait fait une priorité sociale dans le budget de l’Etat d’arriver à ce que la qualification soit gratuite.

Pensez-vous que changer d’entreprise tous les 2 ans par exemple pourrait participer à la qualification ?

Lionel Zinsou: Non pas tout à fait. C’est un problème typique des pays émergents et des pays en développement. Vous avez une telle rareté des compétences, une telle rareté des qualifications, qu’un certain nombre de gens font leur carrière en changeant d’entreprise pour progresser dans la hiérarchie. Mais en vérité, c’est plutôt un facteur de déstabilisation d’entreprise. Donc l’idéal, c’est d’arriver à faire une carrière en ayant le plus de stabilité possible. Après, ça dépend des circonstances. Mais on construit toujours des meilleurs carrières quand on a une stabilité plus grande et puis si on a changé trois ou quatre fois d’entreprise, il y a un moment ou les employeurs futurs peuvent commencer à douter de la stabilité psychologique et douter du fait que vous sachiez vraiment ce que vous voulez faire dans la vie. Donc la stabilité est quand même une qualité importante dans un CV.

Pouvez-vous nous donner quelques conseils pour réussirdans la vie professionnelle ?

Lionel Zinsou: Je vous donnerais 2 ou 3 conseils.

Premièrement, c’est très important d’avoir un esprit positif et de mettre toute son énergie à accomplir ce qu’on veut accomplir parce que la vie montre que très souvent, on parvient à accomplir ce qu’on a rêvé d’accomplir.

Deuxièmement, on vit dans un monde où on a besoin de qualification et au Bénin, il manque encore beaucoup de qualifications techniques. Très souvent, les entreprises doivent aller chercher les compétences ailleurs, par exemple, je visitais l’autre jour une entreprise où les techniciens viennent de Côte d’Ivoire, où la formation technique est beaucoup plus pointue. Il manque encore des compétences techniques au Bénin et de l’expérience acquise dans les entreprises. Donc si on est prêt à se former, si on a confiance et si on y met beaucoup d’énergie, à priori, je pense que l’on réussit professionnellement.

C’est vrai que notre système universitaire prépare assez peu à des compétences techniques pointues et plus à des formations générales. Mais je crois que quand on a la chance d’entrer dans une entreprise, d’avoir trouvé un emploi, c’est important de se donner des compétences que tout le monde n’a pas, des compétences techniques significatives.

Donc il faut bien identifier les secteurs où il y a une demande et essayer de se donner une qualification pas trop générale et plutôt pointue, et plutôt technique. Et puis, tout ça repose sur l’énergie et la confiance.

Troisièmement, je crois qu’il faut rentrer dans le monde du travail, même par la petite porte, en pensant qu’on s’élèvera à l’intérieur. Il faut participer au monde du travail quand c’est possible. Dans les campagnes, il y a des besoins absolument considérables, très important à satisfaire. Nous avons dans les campagnes beaucoup d’emplois qui vont se développer. Il ne faut pas nécessairement penser « l’emploi, c’est la ville ». Il ne faut pas nécessairement penser « l’emploi c’est Cotonou ou l’emploi c’est Parakou ». Parce que c’est un marché de l’emploi difficile, tout le monde vient vers la ville, on pense qu’on y trouve plus facilement l’emploi.

A Dassa Zoumé, on a fait une expérience, avec une ONG, qui est une expérience de création de petites entreprises du secteur formel. C’est une expérience formidable avec un apiculteur nous avons aidé. Cet apiculteur, en 2 ans, est passé de 50 ruches à 1 000 ruches, il a créé 50 emplois, il a reboisé 67 hectares. Et les familles qui ont appris la collecte du miel c’est au fond plusieurs centaines de gens qui satisfont désormais leurs besoins fondamentaux et qui se sont créés un revenu supplémentaire.

Une autre entreprise a été développée, elle fait de l’huile de neem. L’huile de neem, c’est une huile qui sert à lubrifier les machines pour lesquelles il y a un marché aussi bien en Afrique qu’en Europe, même chose, les gens ont été formés et les agriculteurs qui collectent le neem ont trouvé un débouché.

Nous avons besoin de techniciens agricoles. Nous avons des campagnes où les rendements vont décupler ; le rendement de maïs, le rendement du manioc, le rendement de l’igname, entre aujourd’hui et 2022, quand on se retournera, on s’apercevra qu’on a multiplié les rendements par 5 ou 10.

Pourquoi ? Parce qu’on aura plus d’intrants, parce qu’on aura un peu plus de capital, parce que notre agriculture va se moderniser, parce qu’on a des attelages pour les labours etc. Moyennant quoi, les techniciens agricoles vont avoir de très bonnes carrières dans l’agriculture. Regardez l’expériences de Songhaï ! Songhaï forme des gens qui ensuite vont créer des fermes qui sont des fermes modernes et qui donnent un excellent revenu aux techniciens agricoles et qui donnent des emplois de salariés agricoles tout autour d’eux. Le mouvement de Songhaï, avec la ferme de Porto-Novo, la ferme de Savalou, la ferme de Parakou, forme tous les ans des centaines de techniciens agricoles. Maintenant, ils viennent se former du Nigeria, ils viennent se former de tous les pays francophones des alentours et en suite ils partent, Songhaï les aident, ils partent et s’implantent, ils reviennent dans leur région et là ils créent beaucoup d’emplois autour d’eux. Et comme ils ont les connaissances et les qualifications, ils peuvent atteindre des bons rendements et ça crée de vrais revenus. Je crois qu’il faut bien penser qu’on crée aussi l’emploi à proximité de chez soi. On n’est pas obligé d’aller vers la ville pour rechercher l’emploi avec le risque d’être au chômage dans la ville, ce qui est encore pire que d’être au chômage dans les campagnes.

En conclusion, si vous êtes diplômé et que vous avez une maîtrise de physique, c’est probablement à Cotonou que vous aller trouver un emploi. Mais si vous êtes prêt à travailler dans le bâtiment, à travailler dans l’agriculture, dans les industries qui valorisent les produits agricoles, à ce moment là, vous trouverez aussi de l’emploi près de chez vous.

Donnez-nous quelques astuces pour rester positif dans un environnement négatif?

Lionel Zinsou: D’abord, il faut que vous sachiez que quand on fait des sondages internationaux, les pays où on est le plus positif, contrairement à ce que vous pourriez penser, ce ne sont pas les pays riches, ce sont les pays africains. Pourquoi ? Parce qu’à la question « est ce que vos enfants vivrons mieux que vous ? », les Africains répondent tous « oui » et la majorité des européens répondent « non », parce qu’ils ont le sentiment qu’ils ont atteint une espèce de point zéro et qu’ils ne peuvent que se dégrader. Par contre, en Afrique on a l’impression que comme nos enfants sont plus éduqués que nous, plus nombreux à savoir lire et à savoir écrire, et que c’est quand même l’éducation qui est la base de la réussite professionnelle, nos enfants vivront mieux que nous. Donc, l’environnement est peut être négatif mais psychologiquement en fait, on s’aperçoit quand même que dans le sondage mondial, les Africains sont plus optimistes que les autres.

La deuxième chose c’est quand même d’aller voir ses parents et ses grands parents et de leur demander : « comment c’était avant ? ». À ce moment là, même si on a l’impression que ça ne bouge pas on se rendra compte qu’avant il n’y avait pas d’école gratuite, qu’il n’y avait pas d’hôpitaux…. Aujourd’hui il y a des hôpitaux, qui sont dans des situations très difficiles, mais il y a des hôpitaux. A l’Indépendance, il y avait un hôpital à Cotonou et un dispensaire à Parakou. Point. C’était tout. Pour le reste, il y avait des missions catholiques, il y avait quelques toutes petites cliniques privées. Comment c’était avant ? Aujourd’hui vous avez l’université, il n’y en avait pas au Bénin, elle a été créée par le Docteur Zinsou, il n’y en avait pas jusqu’en 1969. Pas d’université. Si vous vouliez aller à l’université, il fallait que vous partiez à Dakar. On s’aperçoit que tout n’est pas parfait, qu’on a besoin de devenir un pays émergent, qu’on a besoin de faire beaucoup d’efforts.

Les gens pensent que c’était mieux avant mais l’autre jour je regardais les statistiques sur le revenu et sur la consommation. Combien on consommait de viande, combien on consommait de boisson ? Au Bénin, la consommation alimentaire progresse tous les ans d’environ 15%. La population progresse d’environ 3%. Donc il y a forcément quelque chose qui change dans le régime alimentaire. Comment c’était avant, quand il n’y avait pas le téléphone ? A une certaine époque, il n’y avait pas le téléphone. Il y avait quelques centaines, quelques milliers de lignes fixes. Aujourd’hui, il y a plus de deux millions d’abonnés à des téléphones mobiles. Comment c’était avant quand la diaspora n’envoyait pas d’argent ? Le fait que la diaspora envoie de l’argent pour aider les familles pour aider à faire des puits, pour aider à faire des écoles, pour aider à faire des dispensaires, pour construire des maisons, c’est très récent, cela date d’une dizaine d’année. Quand j’étais enfant, dans les années 60, la diaspora n’envoyait pas d’argent. Maintenant la diaspora envoie de l’argent. Parfois elle envoie de l’argent par le téléphone mobile.

Il faut se demander, si on est très pessimistes, comment c’était avant quand il n’y avait pas de micros crédits ? Avant, si vous étiez une couturière et que vous vouliez vous acheter deux machines à coudre, vous ne pouviez pas vous achetez des machines à coudre parce qu’il n’y avait pas de micro crédit. Avant, si vous étiez une femme qui travaille au marché et vous vouliez avoir un peu plus de fond de roulement, il n’y avait pas de micro crédit. Avant vous étiez un agriculteur et vous vouliez vous acheter un attelage, ce n’était pas la peine d’aller au bureau du PADME ou n’importe quel bureau de micro crédit, il n’y en avait pas. Le Bénin est devenu un des pays d’Afrique qui utilise le plus le micro crédit. Et le micro crédit ça existe au Bénin depuis 10 ans. Comment c’était avant ?

Donc il y a deux façons de voir la situation. On peut dire : « tout est négatif dans l’environnement ». Mais si on essaie de se dire : « comment vivaient mes parents, comment vivaient mes grands parents, c’était quoi le taux de mortalité infantile, c’était quoi l’espérance de vie ? » On est un des pays qui gagne le plus vite en expérience de vie. On doit gagner maintenant au Bénin une année de vie à la naissance, une année tous les 4 ans environ. Donc c’était quoi avant quant l’espérance de vie c’était la moitié ? Et l’espérance de vie c’était la moitié il n ‘y a pas si longtemps que ça. C’est à dire que quand mon père avait mon âge, donc il y a trente ans, l’espérance de vie c’était presque la moitié. Quand mes enfants auront mon âge, le Bénin aura une espérance de vie supérieure à 60 ans à la naissance, ça aura été un progrès considérable et ce sera entre mon père et ses petites filles. Donc oui l’environnement est négatif, oui, mais la raison de ne pas s’arrêter c’est de se demander comment c’était avant et de regarder tous les progrès qu’on a faits et auxquels on ne pense pas au jour le jour. Au jour le jour on ne se dit pas il n’y avais pas le téléphone, il n’y avait pas d’hôpital, il n’y avait pas d’école, la consommation par tête de protéine c’était la moitié, on ne se dit pas ça. Mais il faudra demander à ses parents comment c’était avant. Et même si on a toujours embelli le passé, il y a quand même un certain nombre de réalités qui montrent que ça mérite l’effort. Mes petits enfants ; la première vient de naître ; vivront dans un pays, quand ma petite fille aura mon âge, donc 57 ans, développé.

Aujourd’hui, on n’a pas une croissance très forte, le Ghana a une croissance qui est maintenant 5 fois plus forte que la nôtre, mais il y a 20 ans c’est nous qui allions plus vite et le Ghana qui allait moins vite, mais ma petite fille vivra dans un pays développé.

Votre mot de la fin ?

Lionel Zinsou: Mon mot de la fin c’est que le vrai problème de notre pays c’est de faire rentrer dans l’emploi, sa jeunesse qui est pleine de vitalité. Ca ne sert à rien de dire à quelqu’un qui a 20 ans aujourd’hui, « si vous aviez eu 20 ans il y a trente ans, ça aurait été pire ». Et ça ne sert à rien de lui dire : « c’est pas de chance ! Si vous aviez 20 ans dans 30 ans vous vivriez un pays développé ». Parce que le problème c’est qu’ils ont 20 ans aujourd’hui. Et aujourd’hui, l’effort d’éducation est tel qu’on a beaucoup de gens dont on gaspille la compétence parce qu’on ne peut pas leur donner un emploi. Et si il y en avait une cause nationale ; on a l’embarras du choix, on des causes nationales pour la santé, on a des causes nationales pour l’éducation, on a des causes nationales pour la paix et la sécurité, enfin on a beaucoup d’urgences, mais si il y avait une cause nationale, ce serait celle de l’effort de solidarité pour que les jeunes rentrent dans l’emploi. Et ça, non seulement ça devrait être la priorité de l’Etat, mais l’Etat ne peut pas tout. Il faut cesser de se dire que l’Etat peut tout. Ça devrait être une sorte de devoir de tout citoyen de se demander comment créer plusieurs emplois, et comment salarier quelqu’un ? Quiconque peut. Plutôt que de dépenser de façon somptuaire son argent, ça devrait être une obsession de la génération qui peut quelque chose. La génération qui a 40, 50, 60 ans aujourd’hui ne devrait avoir qu’une seule obsession : comment quelqu’un qui a 20 ans peut avoir la chance de montrer ses compétences et de rentrer dans l’emploi ? Si non, ça sera politiquement très difficile. J’ai essayé de créer à peu près 200 emplois; pas pour gagner de l’argent C’est uniquement en me disant que tout citoyen qui peut ou qui sait créer un emploi doit créer un emploi. Regardez les gens autour de vous, à la CSEB ou à la Fondation, regardez leur moyenne d’âge, ce sont des jeunes, donc c’est possible. Si on n’a pas cet effort de solidarité, on se prépare à « la Tunisie » dans 10 ans, on se prépare des révoltes de gens qui ne comprendront pas que la société ne leur a pas permis d’entrer dans l’emploi. C’est ça la cause nationale numéro 1 dans les dix ans qui viennent.

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